Le contraste est on ne peut plus saisissant. D’un côté, des travailleurs qui peinent de plus en plus à joindre les deux bouts, de l’autre, le monde de l’opulence à peine concevable, celui des grands patrons du CAC 40 qui affichent sur 2021 des rémunérations records. Séquence Qui a gagné des millions…

L’an dernier, révèle la société Scalens spécialisée dans les entreprises cotées, la rémunération moyenne des patrons du CAC était de 8,7 millions d’euros, deux fois plus qu’en 2020 ou encore 60% de plus qu’en 2019.

Cette année-là, celle d’une entrée dans la crise covid, fut marquée pour ces grands dirigeants par une baisse de 10% de leur rémunération indique de son côté le cabinet Proxinvest. Cette rémunération atteignait toutefois 5,2 millions d’euros par an. En moyenne… Le directeur de Dassault system empochait alors 24,7 millions d’euros, le P-DG de Teleperformance 13,2 millions, le patron de Kering, 11,1 millions… La crise n’aura eu donc sur eux aucun effet dramatique. Pour preuve, François-Henri Pinault (patron de Kering), vient par exemple d’acheter près de 60 000 actions sur le marché pour un montant total de 36 millions d’euros.

440 fois le Smic…

En 2021, la rémunération annuelle des patrons du CAC 40 équivaut à plus de 440 fois le Smic (c’était 240 fois en 2015), à son niveau revalorisé du 1er mai (+2,65%), soit 1645,58 euros bruts par mois. Et c’est sans compter avec l’envolée des primes exceptionnelles, en moyenne 2,1 millions d’euros pour chacun de ces patrons, avec une partie fixe progressant de 19%.

Carlos Tavares (Stellantis dont le siège fiscal est aux Pays-Bas) perçoit ainsi 19 millions d’euros (salaire fixe et primes). Il faut y ajouter la rémunération sur les objectifs, autour de 47 millions d’euros d’ici 2028. Selon le cabinet Proxinvest, c’est treize fois plus que ce que perçoivent en moyenne les patrons du CAC 40. Ce salaire n’a pas été approuvé par l’assemblée des actionnaires lors d’un vote, consultatif. Mais le conseil d’administration du groupe a approuvé cette rémunération.

En France depuis 2012, le salaire des dirigeants des entreprises publiques est plafonné et doit respecter un ratio maximum de 20 (écart entre la rémunération du dirigeant et le salaire (moyen et médian) des salariés à temps plein). Dans le privé, un « code de bonne conduite », prétendant à l’autorégulation, a été établi en 1995 par l’Afep (association des entreprises privées) et le Medef puis renforcé en 2013 (création du Haut Comité de gouvernement d’entreprise/HCGE). Par un vote, consultatif, les actionnaires s’expriment sur le salaire du patron. Il n’y a toutefois aucune contrainte ni sanction prévue par le HCGE.

Pas de plafond, peu de contraintes

Après l’affaire du salaire de Carlos Ghosn (Renault) en 2016 —le conseil d’administration était passé outre le vote négatif de l’AG des actionnaires—, la loi Sapin 2 a créé l’obligation, pour toutes les entreprises, d’un vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants. Mais, en cas de vote négatif de cette rémunération, par ailleurs sans aucun plafond, seule la partie variable et exceptionnelle n’est pas versée. Ces dernières années, dans 85% des cas, les actionnaires ont approuvé les rémunérations.

En 2019, cherchant à imiter le système en vigueur dans le public, la loi Pacte a institué un « ratio d’équité », soit le rapport entre la rémunération du patron et celle des salariés de l’entreprise. Mais celui-ci n’a rien de contraignant. En 2019, selon diverses statistiques, le ratio s’établissait à 53 (rémunération du patron 53 fois supérieure au salaire moyen dans l’entreprise) ou 72 fois la rémunération médiane dans l’entreprise. Et la rémunération de certains patrons est bien au-delà de ce ratio.

 VALÉRIE FORGERONTJournaliste à L’inFO militante